Enseignements spirituels
Les enseignements spirituels sont tous plus ou moins corrompus, aussi il y a toujours un certain tri à faire, sortir le bon grain de l’ivraie. Mais c’est très subjectif, car ce qui peut sembler faux ou corrompu pour une personne, peut se révéler très inspirant et juste pour une autre.
Je ne suis pas d’accord avec tout ce que dit Bentinho Massaro*, loin de là, mais il y a beaucoup de choses qui m’inspirent dans son enseignement.
Les adeptes qui ont de la dévotion pour un maître considèrent en général son enseignement comme très pur et ne voient de la corruption que dans ceux des autres. De même, beaucoup de grands maîtres critiquent les enseignements des autres écoles, qu’ils connaissent souvent mal ou pas du tout – cela me surprend toujours. C’est un phénomène très général, l’ego ne peut pas admettre que ce qu’il croit fermement comme juste depuis des années ne soit pas la vérité absolue. Et tant qu’on vit dans la dualité, l’existence d’un juste implique celle d’un faux.
Par exemple, les adeptes de l’astrologie tropicale continuent à croire que leur système, qui était juste il y a 2000 ans, l’est toujours aujourd’hui, alors qu’il suffit de lever la tête et de regarder le ciel pour se rendre compte que ce n’est pas vrai.
J’ai trouvé beaucoup de choses intéressantes et inspirantes dans le livre de Daniel Ingram (Mastering the Core Teachings of the Buddha, An Unusually Hardcore Dharma Book), mais beaucoup de choses discutables aussi. Il se permet de remettre en cause certains points du Canon du theravada*, considéré comme sacré, ou pur et dur, par beaucoup… c’est certainement un des enseignements les moins corrompus, mais il a quand même été transmis oralement pendant plusieurs siècles par des êtres humains avant d’être écrit et canonisé. Et chacun l’interprète à sa manière, depuis le Vissudhimagga jusqu’à Ajahn Buddhadasa* et Ayya Khema*… sans parler des Tibétains et des maîtres zen. Dès qu’on ouvre la bouche, ou prend une plume, on interprète.
Toutes les connaissances humaines sont basées sur des croyances – dans un sens, c’est toujours de la fiction (des formations mentales) – et chacun croit ce qui conforte son ego (c’est aussi une croyance, bien sûr).
Personnellement, je n’ai pas peur des amalgames et du syncrétisme. Même si je m’y égare parfois, j’y trouve aussi souvent des révélations et des insights* que je n’avais pas perçues dans les enseignements purs et durs, ou des pièces du puzzle qui me manquaient…
Aussi il vaut mieux ne rien prendre trop au sérieux, surtout les enseignements spirituels… mais cela n’empêche pas de se faire plaisir en les écoutant ! Et d’utiliser ce qui nous parle et nous inspire pour pratiquer et essayer de s’éveiller.
Dans un sens, tous les enseignements spirituels sont des émanations du même silence, qui est le seul absolu, et s’y rejoignent, en passant par des voies et des formes différentes, et parfois contradictoires…
* Bentinho Massaro : maître spirituel de la non-dualité. D’origine hollandaise, il vit et enseigne aux États-Unis.
* Theravada (pali) : littér. doctrine des Anciens. Seule école du bouddhisme hinayana – le petit véhicule – qui ait subsisté jusqu’à nos jours, le theravada est considéré comme la forme la plus ancienne du bouddhisme, et son Canon, rédigé en pali, serait la transcription fidèle des enseignements du Bouddha. Le theravada est pratiqué dans les pays du Sud-Est asiatique : Sri Lanka, Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge.
* Buddhadasa (Ajahn) (1906-1993) : ordonné moine à l’âge de vingt ans, Ajahn Buddhadasa fonda en 1932 le monastère de Suan Mokkh, qui fut le premier monastère de la forêt dédié à la méditation dans le sud de la Thaïlande. Son dernier projet, dans les années 1980, fut d’établir à Suan Mokkh un centre international de Dharma qui organise régulièrement des cours et des séminaires sur le bouddhisme et des retraites de méditation. Ajahn Buddhadasa fut, avec Ajahn Chah, un des maîtres thaïlandais les plus influents du vingtième siècle. J’ai eu la chance de suivre son enseignement de 1988 à 1993.
* Khema (Ayya) (1926-1997) : née à Berlin, Ayya Khema fut ordonnée nonne en 1979 au Sri Lanka. Elle enseignait le bouddhisme theravada et la pratique des jhanas, les absorptions méditatives. Elle fonda en 1978 le Wat Buddha Dhamma, un monastère de la forêt situé en Australie, où j’ai fait ma première retraite avec elle en février 1990 (voir mon livre Le parfum de l’éveil). Elle fut ensuite mon principal maître spirituel jusqu’à sa mort.
* Insight (anglais) : littér. vision intérieure. Terme utilisé dans le bouddhisme pour désigner la méditation de la sagesse (vipassana, insight meditation), par opposition à la méditation du calme (samatha). Ce mot est couramment utilisé en anglais pour nommer une vision intérieure, révélation, compréhension, intuition profonde, prise de conscience… Comme je n’ai pas trouvé de mot français qui me semblât approprié pour exprimer la véritable connotation d’insight, j’ai préféré garder le mot anglais.
10 juillet 2017, Cabrières d’Aigues