Bonheur et insatisfaction
Tous les êtres cherchent à trouver le bonheur et à éviter la souffrance. Mais quel est ce bonheur que tous les êtres recherchent si désespérément et ne semblent jamais trouver ? Ou s’ils le trouvent momentanément, ils ne semblent pas capables de le garder bien longtemps. N’oublions pas que le bonheur est un des huit dharmas mondains* (le gain et la perte, la renommée et le déshonneur, la louange et le blâme, le bonheur et le malheur), et que le désir pour les dharmas mondains positifs et la peur de leurs opposés sont des préoccupations constantes de la vie dans le samsara* et constituent des obstacles sur la voie spirituelle. Les huit dharmas mondains sont des circonstances impermanentes, qui alternent ; il n’est pas possible d’éviter les quatre dharmas négatifs et de garder toujours les quatre dharmas positifs. Ce bonheur-là est un bonheur fugace, qui apparaît spontanément et disparaît ensuite tout aussi spontanément. Il n’y a donc pas lieu de faire des efforts et de perdre du temps à essayer de le trouver, bien que ce soit ce que font la plupart des gens durant toute leur vie. Où cherchent-ils ce bonheur éphémère ? Dans le monde phénoménal, dans les plaisirs des sens, les possessions matérielles, les relations, le travail et les activités… Mais toutes ces causes de bonheur ont les caractéristiques* de l’impermanence et de dukkha* (l’insatisfaction, l’imperfection), et ne peuvent donc pas produire un bonheur durable et fiable. Et c’est surtout la troisième caractéristique qui pose problème, anatta (le non-soi, l’impersonnalité), c’est-à-dire la personne qui cherche ce bonheur mondain, cette personne séparée qui se sent toujours une victime agressée par le monde et par son environnement.
L’autre bonheur dont on peut parler, c’est la paix du nirvana, qui met définitivement fin à toute souffrance. Le nirvana n’a plus les deux premières caractéristiques d’impermanence et d’insatisfaction, il est permanent et paisible, mais il possède la troisième, qui signifie la disparition de la personne (du soi, de l’ego), celle qui souffre et cherche le bonheur. La quête du nirvana n’est pas la même que celle du bonheur mondain, elle va dans le sens inverse, vers le désenchantement du samsara et le renoncement aux désirs qui semblent promettre le bonheur mondain et qui ne sont en fait que les causes de la souffrance. Et le dernier renoncement est celui de l’attachement à cette personne illusoire qui est la cause de tous les malheurs. Au lieu de chercher à créer les causes d’un bonheur illusoire, il faut abandonner toutes les causes, et la causalité elle-même, pour trouver le bonheur sans cause qui a brûlé toute trace de désir et d’aversion pour les huit dharmas mondains. C’est l’équanimité, l’émerveillement devant les choses telles qu’elles sont, la plénitude, la réalisation de l’unité de toutes choses !
* Huit dharmas mondains (pali : loka-dhamma) : le gain et la perte, la renommée et le déshonneur, la louange et le blâme, le bonheur et le malheur. Le désir pour les dharmas mondains positifs et la peur de leurs opposés sont des préoccupations constantes de la vie dans le samsara et constituent des obstacles sur la voie.
* Samsara (pali) : littér. transmigration perpétuelle. Désigne le cycle des renaissances – le monde conditionné dans lequel nous vivons – qui, tant que nous n’en avons pas perçu la nature illusoire et le considérons comme la seule réalité, est comparé par le Bouddha à un océan de souffrance.
* Trois caractéristiques (pali : ti-lakkhana) : les trois caractéristiques de l’existence et de tous les phénomènes (selon le bouddhisme) sont anicca (l’impermanence), dukkha (l’insatisfaction) et anatta (l’impersonnalité).
* Dukkha (pali) : insatisfaction, imperfection, souffrance. Une des trois caractéristiques de l’existence et de tous les phénomènes, selon le bouddhisme. Les deux autres sont anicca (l’impermanence) et anatta (l’impersonnalité). Il y a trois sortes de dukkha : le dukkha de la souffrance : la souffrance est douloureuse par elle-même ; le dukkha du plaisir : le plaisir n’est pas complètement satisfaisant parce qu’il contient l’incertitude de son accomplissement et de son prolongement, la crainte de sa cessation et la nature douloureuse de la lassitude et de la satiété qu’il ne manquera pas de produire ; et le dukkha inhérent à tous les phénomènes conditionnés.
22 décembre 2015, Chiang Mai