EXPÉRIENCES SPIRITUELLES

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Désir ou aversion

1135 Mouvance

1135 Mouvance

Je suis quelqu’un de malheureux et un éternel insatisfait. C’est ce qu’a ressenti la lectrice de l’APA qui a lu mon Journal 1990

Suis-je vraiment un éternel insatisfait ? Suis-je vraiment malheureux ?

Je dirais non, je me considère, et me suis toujours considéré, comme quelqu’un d’heureux ! Même si mon enfance heureuse fut ensuite malmenée par les réalités de la vie d’adulte…

Il faut dire que le Journal 1990 a été écrit il y a 25 ans. J’ai évolué depuis.

Nous ne sommes pas toujours conscients de nos états d’âme et de nos attitudes, et de comment les autres nous perçoivent, pas forcément de la même manière que nous nous percevons nous-mêmes.

Nous avons des tendances de caractère personnelles, et aussi des tendances collectives, condi­tionnées par notre éducation et les sociétés dans lesquelles nous avons grandi et vécu.

Pour les tendances collectives, les Français (les Suisses Romans sont très influencés par la culture française) sont des insatisfaits, qui râlent, rouspètent, se plaignent, manifestent, revendi­quent, réagissent, se révoltent… c’est un comportement (très influencé par la culture judéo-chrétienne) dans lequel j’ai vécu toute la première partie de ma vie, que j’ai donc trouvé normal et approprié, et que j’ai adopté aussi (même s’il m’irrite parfois). Le comportement des Thaïlandais est très différent (c’est un pays bouddhiste), ils acceptent les choses telles qu’elles sont, les prennent du bon côté, ont toujours le sourire, sont chaleureux et bienveillants, et considèrent très mal élevé et inapproprié de s’énerver ou de se mettre en colère. Je vis en Thaïlande depuis 1988 et ai été très influencé par cette culture aussi.

Bien sûr, ces comportements collectifs ne reflètent pas nécessairement ce que la personne ressent à l’intérieur.

En 1990, je n’étais en Thaïlande que depuis un peu plus d’un an et je commençais à étudier et pratiquer sérieusement le bouddhisme (auparavant, je n’avais fait qu’un peu de méditation zen). C’était donc le début de mon cheminement.

Au niveau personnel, il y a deux grandes tendances ou catégories de caractère, selon qu’il est plus dominé par le désir ou l’aversion (dans le bouddhisme, ce sont les deux principales émotions négatives, avec l’ignorance, et ce sont aussi les causes de la souffrance).

Moi, je suis un caractère aversion, c’est-à-dire que je perçois plus les aspects désagréables de la vie (dukkha*, ce qui est insatisfaisant, imparfait), et ma tendance est de m’en plaindre et de vouloir les éviter ou m’en débarrasser. Je perçois le négatif plus que le positif, et je peux paraître à mon entourage comme quelqu’un de négatif, d’insatisfait, de malheureux. L’ascétisme, le renoncement, le détachement sont plus faciles pour ces personnes, car elles voient les dangers et les souffrances potentielles dans les plaisirs et préfèrent souvent y renoncer pour éviter de souffrir.

Les personnes de caractère désir (comme Ariella) sont l’opposé, elles voient les aspects positifs de la vie et ont de forts désirs pour les plaisirs de sens et les objets ou circonstances qui pourraient (leur semble-t-il) leur apporter le bonheur, et elles vont faire tout ce qu’elles peuvent pour les satisfaire, quitte à en payer le prix en endurant toutes sortes de souffrances. Ces gens sont par contre perçus comme des gens positifs, satisfaits et heureux.

Bien sûr, nous avons tous les deux tendances, mais l’une prédomine.

Le type désir est celui qui est accepté comme correct par la société, et qui est encouragé, car c’est celui qui fait marcher la société de consommation et la croissance économique. Mais sous ses aspects sympathiques, c’est aussi le plus pervers, car il concerne l’avidité et l’attachement, qui sont les causes de la misère dans les pays pauvres, des guerres au Moyen Orient pour payer le pétrole moins cher, de la destruction de l’environnement, des pollutions, du réchauffement climatique, etc.

Le type aversion, concerne la colère et la haine, il est la cause de la violence, du terrorisme, des guerres raciales, de la délinquance, etc., et c’est pourquoi il fait si peur aux sociétés qui s’efforcent de défendre leurs richesses et leurs privilèges, au besoin par la force (l’armée américaine dépense un milliard de dollars par jour !), quitte à maintenir plus de la moitié de l’humanité dans la misère.

Ce qui est intéressant là-dedans, c’est d’observer. D’observer notre fonctionnement et celui de la société, de voir comme nous sommes conditionnés par la société, mais aussi comme nous conditionnons la société, qui n’est en fait qu’un reflet de nos fonctionnements individuels.

Donc, depuis 30 ans, je m’observe, j’essaie de comprendre comment je fonctionne, grâce au bouddhisme, mais aussi à de nombreuses autres voies et techniques que j’ai explorées. Le Journal fut aussi une grande aide, puisqu’il m’a permis de mémoriser toutes ces observations. Au début, je n’avais pas l’idée que je le déposerais un jour à l’APA ni que d’autres le liraient. J’ai toujours essayer d’être le plus objectif, sincère et honnête possible dans ce que j’ai écrit, et de noter autant l’agréable que le désagréable. Je n’ai pas l’impression que dans l’ensemble de mon Journal il y a ait plus de désagréable.

Le Journal 1990 n’est pas un des plus noirs, 1991 est pire, 1997 aussi, et je pense que cela devient plus positif à partir de 1998.

Il y a deux jours, je me suis observé pendant toute la journée, et j’ai trouvé très peu de moments d’insatisfaction. Il faut dire que quand on devient un peu plus éveillé, l’aversion, la haine et la colère disparaissent peu à peu, et sont remplacées par une certaine tristesse ou contrariété, beaucoup moins virulente, et qui ne dure pas. On voit toujours les choses négatives, mais on en est moins affecté, et on n’en est pas malheureux pour autant. C’est là qu’on constate les progrès qu’on a faits.


Dukkha (pali) : insatisfaction, imperfection, souffrance. Une des trois caractéristiques de l’existence et de tous les phénomènes, selon le bouddhisme. Les deux autres sont anicca (l’imper­manence) et anatta (l’impersonnalité). Il y a trois sortes de dukkha : le dukkha de la souffrance : la souffrance est douloureuse par elle-même ; le dukkha du plaisir : le plaisir n’est pas complètement satisfaisant parce qu’il contient l’incertitude de son accomplissement et de son prolongement, la crainte de sa cessation et la nature douloureuse de la lassitude et de la satiété qu’il ne manquera pas de produire ; et le dukkha inhérent à tous les phénomènes conditionnés.

 

17 décembre 2015, Chiang Mai

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